Le 16 janvier 2020, sous l’impulsion des sénateurs MAUREY et VERMEILLET, la chambre haute a adopté la proposition de loi visant à créer un droit à l’erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale.
1. Un environnement a priori propice à la reconnaissance du droit à l’erreur au profit des collectivités territoriales
Les sénateurs mettent en avant les évolutions législatives récentes et l’environnement territorial pour « donner aux collectivités les mêmes droits qu’aux particuliers et aux entreprises dans leurs relations avec les administrations ».
A. L’environnement juridique
Tout d’abord, la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi « ESSoC » est venue consacrer, au sein du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), un droit général à la régularisation en cas d’erreur au profit des particuliers et des entreprises, complétant ainsi venant les mécanismes préexistants de rescrit en matière fiscale et sociale.
Précisément, l’article L. 132-1 du CRPA a prévu qu’une « personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ».
Par ailleurs la sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude.
Or, ces dispositions applicables aux usagers, insérées dans le CRPA, ne pouvaient s’appliquer aux collectivités territoriales.
Ensuite, le législateur via la loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a reconnu au profit des collectivités territoriales et de leurs groupements le droit à un rescrit préfectoral. L’article L. 1116-1 du CGCT prévoit qu’avant d’adopter un acte susceptible d’être déféré au tribunal administratif, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent saisir le représentant de l’Etat chargé de contrôler la légalité de leurs actes d’une demande de prise de position formelle relative à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif. Mais ce dispositif ne préserve pas la collectivité territoriale de tout risque contentieux dans la mesure où si la prise de position formelle déclarant l’acte conforme au droit prive le préfet du recours au déféré préfectoral, elle ne fait pas obstacle au recours de tiers devant les juridictions compétentes.
Enfin, le droit à l’erreur dans le domaine de la sécurité sociale a été mis en œuvre par le décret n°2019-1050 du 11 octobre 2019. Ce texte permet ainsi la non-application des majorations de retard et des pénalités en cas de déclaration régularisatrice en cas de retard de paiement de cotisations ou suite à un contrôle, sous réserve de remplir les conditions réglementaires.
B. L’environnement territorial
L’environnement territorial propre aux acteurs publics est aussi invoqué.
D’une part, la banalisation du droit applicable aux acteurs publics locaux ne distinguerait plus aussi nettement ces derniers des autres personnes morales, si bien que l’exclusion des collectivités territoriales du droit à l’erreur serait injustifiée.
D’autre part, la complexité du droit applicable conjugué à la faiblesse des moyens des collectivités locales pour assurer la sécurisation juridique de leur action militerait pour la reconnaissance de ce droit à l’erreur.
Malgré cet environnement et les justifications apportées par les sénateurs, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont toujours rejeté l’idée d’un droit à l’erreur au profit des collectivités, à l’occasion des débats parlementaires sur les lois ESSoC et « engagement et proximité », aux motifs qu’ « il est difficile de percevoir quelles situations seraient concrètement concernées » et que les services du contrôle de légalité assurent déjà une mission de conseil.
2. Un droit à l’erreur autonome
Le texte adopté le 16 janvier dernier, s’inspire donc de l’article L. 132-1 du CRPA (A), tout en s’en détachant en en faisant un droit invocable de manière illimitée (B).
A. Un droit inspiré de l’article L. 132-1 du CRPA
En premier lieu les parlementaires ont renoncé à introduire ce droit dans le CRPA pour des raisons de lisibilité et de compréhension du droit. C’est donc un article L. 1113-8 qui sera introduit dans le code général des collectivités territoriales.
En deuxième lieu, la formulation du droit à l’erreur demeure en substance identique à l’article L. 132-1 du CRPA : « une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales ayant méconnu une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet d’une sanction pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire dans le délai indiqué ».
De la même manière, la sanction peut toutefois être prononcée, sans invitation à régulariser, en cas de fraude ou de méconnaissance délibérée de la règle applicable.
Le champ d’application est limité aux relations avec les administrations de l’État, ainsi que les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif.
Enfin, tout comme l’article L. 132-1 du CRPA, il n’est pas applicable en présence de droits spéciaux assurant une protection équivalente, aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement, prévues par un contrat, ou prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.
B. Un dispositif dérogatoire au droit commun
Cependant, si l’article L. 123-1 du CRPA conditionnait l’usage du droit à l’erreur à la méconnaissance d’une règle de droit « pour la première fois », l’article L. 1113-8 du CGCT supprime cette notion de première fois, faisant de l’usage du droit à l’erreur au profit des collectivités territoriales un droit illimité, et donc dérogatoire au droit commun, ce qui pourrait être de nature à susciter la critique. L’article supprime également la mention à la mauvaise foi du demandeur.
3. Un droit spécial en matière de subvention
Enfin, au cours des débats, un amendement additionnel a été adopté, instituant un droit à régularisation en cas d’erreur dans le cadre de demande de subvention.
Le nouvel article L. 2334-43 du CGCT prévoit qu’ « une collectivité ayant commis une erreur matérielle lors de la formalisation d’une demande de subvention prévue au présent chapitre ou ayant oublié d’y joindre une ou plusieurs pièces exigées ne peut se voir refuser l’octroi de la subvention sollicitée au seul motif de cette erreur ou de cet oubli. La collectivité demandeuse doit pouvoir être mise en mesure, dans un délai raisonnable, de corriger toute erreur matérielle ou de compléter sa demande avant la décision d’octroi ou de refus de la subvention. »
Ainsi, l’incomplétude d’un dossier de subvention ne peut être un motif de rejet de subvention et l’administration instructrice devra demander à la collectivité de régulariser la situation. Cet article ne fait en réalité que compléter un dispositif existant prévu à l’article R.2334-23 du CGCT selon lequel le préfet est tenu de réclamer la production de pièces manquantes ou d’informer du caractère incomplet du dossier.
Le texte a été transmis à l’assemblée nationale. Reste à savoir si cette dernière maintiendra la position hostile exprimée les années précédentes.
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